L’effet restrictif de la Loi antiterroriste de 2015 sur les avocats spéciaux

par Paul Lalonde (University of Ottawa)

 

RésumÉ

La partie cinq de la Loi antiterroriste de 2015 présente plusieurs changements importants à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Plus spécifiquement, ces changements risquent de placer des obligations trop restrictives sur l’accès à l’information secrète du gouvernement sur l’individu en question. Les avocats spéciaux s’inquiètent que l’incapacité d’avoir accès à ces informations secrètes soulève plusieurs questions d’iniquité face aux audiences tenues à huis clos et pourrait mener à une révision constitutionnelle par la Cour.

Le présent texte examine les nouveaux changements législatifs faits à la partie cinq de la Loi antiterroriste de 2015 ainsi que l’effet restrictif de ces changements sur le rôle de l’avocat spécial pendant les audiences tenu à huis clos. L’analyse suivante se divise en quatre grands thèmes suivant : le dépôt de la preuve et du résumé, l’appel du ministre, le contrôle judiciaire et l’obligation de communication. La dernière partie de l’analyse dresse une petite liste de recommandations qui aiderait à respecter le rôle de l’avocat spécial et de trouver un juste milieu entre la sécurité nationale et le respect des droits et libertés. Le rôle de l’avocat spécial dans le procès à huis clos est intégral dans le but de trouver ce juste milieu donc il est important de ne pas voir les avocats spéciaux comme des obstacles, mais plutôt des outils de la justice.

 

Fichier : Avocats speciaux Lalonde

 

Citation : Paul Lalonde, « L’effet restrictif de la Loi antiterroriste de 2015 sur les avocats spéciaux », Document de travail n°3, OSN, 2016.

 

 

 

Ce contenu a été mis à jour le 7 février 2017 à 13 h 00 min.

Commentaires

4 commentaires pour “L’effet restrictif de la Loi antiterroriste de 2015 sur les avocats spéciaux”

Sebastian Fernandez

29 février 2016 à 15 h 18 min

D’abord, à l’instar de M. Rialland, je tiens à remercier M. Lalonde d’avoir dressé un portrait clair et concis de la fonction d’avocat spécial. Plus largement, je tiens aussi à lever mon chapeau à l’auteur quant à la manière dont est rédigé le texte, c’est-à-dire relativement simplement, où la vulgarisation de certaines notions pouvant parfois être complexes permet aux lecteurs, qu’ils soient étudiants, juristes ou néophytes, d’en apprécier pleinement la substance.

Ceci étant, si je peux y aller d’une suggestion, je crois qu’il aurait été préférable que l’auteur, avant de procéder à une comparaison entre la situation de l’avocat spécial avant et après l’entrée en vigueur de la Loi antiterroriste, élabore un peu plus sur le rôle de l’avocat spécial avant l’entrée en vigueur de la Loi antiterroriste. Cela aurait, à mon humble avis, permis d’accentuer la mise en lumière de l’impact de la Loi antiterroriste sur ce plan.

Quoi qu’il en soit, une fois que l’auteur entre dans le cœur du sujet, on constate que la Loi antiterroriste confère des pouvoirs accrus à l’organe exécutif, certains allant même jusqu’à consister en une actualisation de la possibilité de contourner le pouvoir décisionnel d’un tribunal. Doit-on y voir une atteinte grave à la séparation des pouvoirs et, par extension, un précédent législatif extrêmement préoccupant dans un État qui se veut démocratique ? J’estime que oui. Certes, bien que la perpétuelle question du nécessaire équilibre entre le respect des droits et libertés de la personne et le maintien de la sécurité nationale soit centrale dans ce texte et doive nécessairement être prise en considération dans tout débat concernant une pièce législative de l’ordre de la Loi antiterroriste, je crois néanmoins qu’il y a certaines lignes qu’on ne saurait franchir dans un système démocratique. L’octroi de pouvoirs discrétionnaires excessifs au ministre de la Justice au détriment du droit à une instruction juste et équitable tend non seulement vers une volonté excessive de maintenir la sécurité nationale, mais constitue surtout une atteinte extrêmement grave aux droits et libertés de la personne, comme le souligne d’ailleurs l’auteur, ainsi qu’aux principes sous-jacents de l’État de droit. C’est pourquoi je suis tout à fait d’accord avec les recommandations de M. Lalonde, lesquelles permettent, à mon avis une conciliation de la volonté d’assurer la sécurité nationale et celle du respect des droits et libertés des accusés.

Enfin, je tiens, une fois de plus, à remercier l’auteur pour sa contribution et son texte extrêmement enrichissant.

Sebastian Fernandez

Mike S.

5 mars 2016 à 16 h 19 min

J’aimerais en premier lieu réitérer les remerciements de mes collègues. En effet, l’auteur fait preuve d’une très forte capacité de synthèse tout au long de son article. Ceci étant, permettez-moi d’y aller d’un commentaire concernant l’ajout des paragraphes 79.1, 82.31 et 87.01 de la LIPR qui, comme l’indique l’auteur, « confèrent […] au ministre le pouvoir discrétionnaire d’interjeter appel en tout état de cause s’il prétend, selon sa propre discrétion, une atteinte à la sécurité nationale ou d’autrui ». L’auteur rajoute que ce large pouvoir discrétionnaire du ministre « présente un risque d’abus en placent le ministre dans une position avantager ».

Il est important de ne pas perdre de vue l’objectif de cette modification et les différents paramètres qui l’expliquent. Dans un premier temps, le ministre pourrait, dans certaines situations, être mieux outillé que le juge afin d’apprécier les répercussions néfastes que pourrait avoir, sur la sécurité nationale ou celle d’autrui, la divulgation d’un élément de preuve. Ceci s’explique notamment par le fait que cette appréciation doit se faire en prenant en compte une panoplie de variables qui incluent notamment plusieurs renseignements confidentiels ou classifiés que le ministre aura su apprécier dans le cadre de ses fonctions.

Cette proposition paraîtra sans doute contre-intuitive pour plusieurs juristes, eu égard à plusieurs principes élémentaires du processus judiciaire traditionnel.

Pour terminer, j’aimerais souligner l’importance de ne pas oublier que ce large pouvoir discrétionnaire est en parfaite adéquation avec l’objectif de la loi, soit d’« encourager et […] faciliter la communication d’information entre les institutions fédérales afin de protéger le Canada contre des activités qui portent atteinte à la sécurité du Canada ».

Adriana Sotelo-Castellon

16 novembre 2016 à 17 h 35 min

J’aimerais tout d’abord mentionner que la mise en balance de deux enjeux qui sont le maintien de la sécurité nationale et la protection des droits et libertés fondamentaux au Canada, soulevée par M. Fernandez, est aussi, selon moi, le cœur de la problématique entourant la Loi antiterroriste, sujet traité dans le texte de M. Lalonde.
Néanmoins, contrairement à M. Fernandez, sans vouloir jouer à l’avocat du diable, je peux concevoir le moyen pour racheter la mesure législative, qu’est la Loi C-51, par l’objectif recherché par une mesure visant la sécurité nationale et en vertu de la portée de la Charte canadienne des droits et libertés.
Premièrement, sans vouloir mettre au second plan le droit de l’accusé à avoir une défense pleine et entière, droit fondamental dans notre société démocratique comme le souligne l’auteur du commentaire, un autre droit fondamental entrerait en jeu selon moi, et la protection de ce droit serait incluse dans l’objectif recherché par une mesure législative telle que la Loi antiterroriste. Ce droit se retrouve à l’article 7 de la Charte et c’est le droit à la sécurité. Par une telle loi, le législateur cherche à protéger les citoyens et les individus se trouvant au Canada, il vise la sécurité de l’ensemble des individus, favorise une collectivité par rapport à un individu dans un contexte où deux droits fondamentaux se confrontent.
Deuxièmement, M. Lalonde souligne que le certificat de sécurité qui restreint l’accès au territoire canadien, s’applique aux résidents permanents et aux étrangers. Les mesures visent alors des individus non-citoyens et se retrouvant à l’extérieur du Canada. Or, le droit n’est pas fixé sur la question de la protection de la Charte pour les étrangers en dehors du Canada. Peut-être ainsi, la portée de la Charte ne garantirait pas la protection des individus visés par la Loi problématique : dans ce cas, la Loi ne serait pas anticonstitutionnelle en vertu de la Charte.
Encore une fois, sans vouloir justifier la Loi canadienne, ces deux avenues seraient, selon moi, pertinentes à envisager.

Jonathan Beaulieu Bourgault

16 novembre 2016 à 20 h 43 min

En poursuivant dans la même veine que M. S, l’obligation de divulgation de la preuve est extrêmement importante dans le système judiciaire canadien. Dans le contexte de la Loi antiterroriste de 2015, le gouvernement prend certaines mesures afin de freiner les déplacements à des fins terroriste sur le territoire canadien. Cette dernière modifie certaines dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Il est question ici d’un certificat restreignant l’accès d’un individu en territoire canadien et non d’une accusation criminelle de terrorisme. Tout comme le mandat de perquisition ne nécessite pas une preuve hors de tout doute raisonnable, mais bien des motifs raisonnables de croire que l’infraction sera commise ou a été commise, C-51 aurait également pour objet une mesure préventive et non des accusations formelles de terrorisme. De ce fait, comme il n’est pas question d’accusations criminelles, je pense qu’il est normal d’assouplir les exigences quant à la protection du droit de la défense d’avoir accès à la preuve que le ministre détient. Pour revenir au mandat lors d’une perquisition, le juge évaluera une certaine preuve fournie à la discrétion de l’agent de la paix, l’individu contre qui le mandat est obtenu n’a en aucun cas droit à une défense. En transposant cela à la situation de C-51, on laisse au bon vouloir du ministre la preuve de dévoiler les éléments de preuves qu’il veut, en restreignant l’accès de ces derniers à l’avocat spécial. Les mesures dans la loi pourraient être acceptables dans l’optique où, comme mentionné plus haut, nous ne sommes pas en train de porter des accusations criminelles. Donc le fardeau de preuve ne doit pas être aussi élevé que dans un contexte criminel traditionnel, nous devons alors permettre que la preuve fournie ne soit pas la plus béton tout comme la défense.

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