Mieux vaut prévenir que guérir ! Israël et l’usage de la détention administrative comme outil de lutte contre le terrorisme

par Rym Laoufi (Université de Montréal)

RÉSUMÉ

La détention administrative est un outil préventif de lutte contre le terrorisme utilisé par de nombreux États. Leur portée et leur forme varient, allant de l’exemple le plus frappant de la prison de Guantanamo à des schèmes de détentions « plus diffus » tels que ceux appliqués en vertu des lois sur l’immigration. Le contexte géopolitique dans lequel évolue l’État d’Israël en fait l’un des piliers dans le recours à ces détentions préventives. Dans l’objectif de lutter contre le terrorisme, trois régimes de détention ont été mis en place. Le premier est encadré par la Emergency Powers (Detention) Law et s’applique au territoire israélien. Le second, exercé en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, est encadré par divers décrets militaires. Finalement, le dernier résulte de l’adoption de la Incarceration of Unlawfull Combatants Law et s’applique aux nationaux étrangers qui constitueraient un danger pour l’État d’Israël. Ces détentions administratives reposent toutes sur un risque potentiel personnifié par le détenu et des garanties procédurales amoindries permettant de faciliter l’incarcération. Par ailleurs, s’il est vrai que la légalité d’une détention peut toujours faire l’objet d’un contrôle judiciaire, l’efficacité réelle du processus demeure somme toute relative. En effet, la Cour suprême israélienne, habituellement de nature assez interventionniste, semble faire preuve d’une plus grande déférence relativement à l’usage de ces détentions. Cette réticence judiciaire additionnée à des audiences ex parte, à l’utilisation de la preuve secrète et à des situations où le détenu pourrait ne jamais avoir eu la possibilité de consulter un avocat avant la révision judiciaire initiale, font douter de l’efficacité réelle du processus. Les détentions administratives se présentent alors comme une illustration des difficultés rencontrées par l’institution judiciaire lors de la recherche d’un équilibre fragile entre la protection de la sécurité nationale et celles des libertés fondamentales.

 

Fichier : rymlaoufi-detentionsisrael

Citation : Rym Laoufi, « Mieux vaut prévenir que guérir! Israël et l’usage de la détention administrative comme outil de lutte contre le terrorisme », Document de travail n°9, OSN, 2016.

Ce contenu a été mis à jour le 7 février 2017 à 12 h 57 min.

Commentaires

2 commentaires pour “Mieux vaut prévenir que guérir ! Israël et l’usage de la détention administrative comme outil de lutte contre le terrorisme”

Laurent Dumais

17 novembre 2016 à 18 h 36 min

Force est de constater, à la lumière de cet ouvrage sur la notion de détention administrative, qu’il persiste en Israël une situation que je considère complètement antinomique à ce qui devrait exister dans une démocratie. Sans vouloir manquer de nuance dans mes propos, je crois qu’une primauté du droit à deux vitesses, survenant notamment lorsqu’une législation permet à un juge d’entendre la preuve d’un litige sans la présence de l’accusé ou qui permet à ce même juge d’écarter les règles habituelles en matière de preuve en vue d’accomplir un objectif aussi vague que celui de ‘sécurité nationale’, est un laxisme inacceptable dans une société dite démocratique. Après tout, dans le contexte juridique canadien, ce genre de droits sont à proprement appelés des garanties juridiques qui furent par ailleurs constitutionnalisées; d’où leurs importances qui vont de soi dans un État de droit.

Bien évidemment, dans bon nombre d’États à travers le monde, une situation d’urgence peut justifier l’utilisation de certains moyens semblant contraire à l’ordre juridique établit, tel la détention préventive. Cependant, il semble sans équivoque qu’une telle situation se doit d’être temporaire. Or, un état d’urgence renouvelé depuis près de 68 ans par le Parlement d’une Nation, soit le Knesset en l’espèce, n’est pas issue de ce que j’appellerais une mesure temporaire. C’est donc en quelque sorte une façon indirecte d’atteindre un objectif que l’on ne pourrait juridiquement pas se permettre directement. Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle a des répercutions extra-territoriales, l’ ‘Order Regarding Administrative Detention’ s’appliquant en dehors du territoire d’Israël (Cisjordanie/Bande de Gaza).

‘Une atteinte au droit d’un citoyen est une atteinte au Droit de la République’. Ce fut dans ces mots que s’exprima Georges Clemenceau, au début du XXe siècle. Cette citation devrait toujours être d’actualité pour une Nation qui se considère comme un État de droit.

Saïd Le Ber-Assiani

17 novembre 2016 à 21 h 17 min

Le texte en question présente bien les trois différents régimes applicables en Israël en matière de détention administrative (préventive) ainsi que leurs similitudes et différences.
Le premier mécanisme s’applique sur le territoire israélien, le second s’applique sur les territoires occupés de la Cisjordanie / Bande de Gaza et le troisième s’applique aux nationaux étrangers à qui l’on reproche de présenter un danger pour l’État d’Israël. Chacun de ces mécanismes prévoit des mesures portant atteinte aux droits fondamentaux. Notamment, des audiences ex parte, l’utilisation d’une preuve secrète et la possibilité de retarder ou refuser le droit à l’avocat aux détenus.
Un fait intéressant soulevé par l’auteure concerne l’existence perpétuelle de l’état d’urgence en Israël, et ce, depuis sa création en 1948. Il est surprenant d’apprendre que cette situation perdure depuis maintenant plus de 60 ans.
Selon moi, un des problèmes avec ces trois mécanismes est la possibilité pour l’exécutif d’agir de manière arbitraire et l’inefficacité des contrôles judiciaires lorsque ceux-ci sont possibles. En effet, les agents et représentants de l’État d’Israël qui ont comme mandat d’appliquer ces mécanismes répondent à des commandes politiques et devraient donc pouvoir faire l’objet de contrôle judiciaire. De plus, les individus qui sont directement touchés par ces mécanismes n’ont pas le statut d’accusés et sont simplement détenus sans avoir eu le droit de subir un procès juste et équitable. Ce dernier est d’ailleurs un droit reconnu internationalement tel que mentionné par l’auteure. Les individus en question sont donc, souvent, soupçonnés de pouvoir ébranler la sécurité nationale en Israël. Il y a donc lieu de se demander si cela ne frôle pas la paranoïa dans certains cas. Il est évidemment difficile de répondre à cette question puisque tout le processus est hautement secret.
Outre cela, je crois que l’injustice la plus flagrante par rapport à ces trois différents mécanismes est le fait que des mesures plus sévères existent en fonction de la région où elles sont applicables. Il est choquant de constater que les résidents de la Cisjordanie / Bande de Gaza et les nationaux étrangers sont sujets à des mesures nettement plus strictes que les Israéliens. D’autant plus que la majorité des cas d’application de ces trois mécanismes concernent les territoires de la Cisjordanie / Bande de Gaza et des nationaux étrangers.
Face à cela, la communauté internationale aurait tout intérêt à se questionner quant à la situation en Israël qui, depuis sa création, est touché par un état d’urgence qui permet de justifier des violations aux droits fondamentaux. N’est-ce pas là une façon de faciliter l’occupation du territoire palestinien plutôt que d’assurer la sécurité nationale ?
Saïd Le Ber-Assiani

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