Le prevent duty au Royaume-Uni
par Olivier Dulude (Université de Montréal)
RÉSUMÉ
Les démocraties occidentales ont rivalisé de créativité au cours des dernières années dans le cadre de l’inévitable lutte au terrorisme. Aujourd’hui, le terrorisme islamiste fait malheureusement quotidiennement les manchettes et incite l’opinion publique à demander, de la part des législatures, des mesures de plus en plus importantes pour y faire face. L’une des expressions des plus récentes de cette mouvance est le prevent duty au RoyaumeUni.
Le prevent duty est un mécanisme de lutte au terrorisme pour le moins inusité. Il a été mis en place en 2015 par la Counter Terrorism and Security Act et vise essentiellement à donner à la société civile le rôle de surveiller et dénoncer les comportements jugés à risque de mener à la radicalisation et ultimement au terrorisme. J’étudierai d’abord ses dispositions les plus importantes. Il sera ensuite question des interactions entre celuici et la liberté d’expression. Enfin, j’aborderai rapidement la notion de communauté suspecte et le rôle du prevent duty dans la marginalisation des musulmans au RoyaumeUni.
Fichier : dulude-le-prevent-duty-au-ru
Citation : Olivier Dulude, « Le prevent duty au Royaume-Uni », Document de travail n°11, OSN, 2016.
Ce contenu a été mis à jour le 7 février 2017 à 12 h 56 min.
Commentaires
2 commentaires pour “Le prevent duty au Royaume-Uni”
Laurent Dumais
14 octobre 2016 à 10 h 19 minDans un premier temps, je tenais à mentionner que je fus particulièrement surpris de constater, non seulement à l’aide de ce document de travail mais également à l’aide des autres billets présents sur le site de l’Observatoire, de l’étendard de mesures adoptées au fil du temps par le Parlement britannique et ce, au nom de la sécurtié nationale. Cependant, en ayant approfondi quelque peu ma recherche, force est d’admettre que ma surprise fit place quelque peu à de la consternation: ordre d’expulsion de citoyens à la demande du Secrétaire d’État, limitation de l’équité procédurale ne pouvant permettre une défense pleine et entière, détention préventive contrevenant à l’habeas corpus pourtant si cher au Royaume-Uni, pouvoir d’enquête octroyé à certaines instances non-gouvernementales grâce au principe de ‘Prevent Duty’… Et il ne s’agit là que d’une liste non-exhaustive, ne sont que quelques unes de ces mesures menant à cette consternation de ma part.
Prises dans un contexte d’ ‘état d’urgence’, ces mesures peuvent sembler justifiées. Cependant, puisque la limitation temporelle de certaines dispositions peuvent atteindre jusqu’à deux ans de force exécutoire, il y a lieu de s’inquiéter à long terme de leurs applications, d’autant plus que le Parlement britannique semble redoubler d’ingéniosité lorsque vient le temps de proroger ces mesures ou d’en adopter de nouvelles. À certains égards, l’adoption de dispositions limitant les droits fondamentaux et autres libertés publiques des individus ne devrait jamais être prise à la légère, non seulement par la communauté juridique, mais par l’ensemble de la population.
À titre d’exemple, pour ce qui à trait plus spécifiquement au ‘Prevent Duty’, je crois qu’il y a lieu de s’inquiéter lorsqu’il est temps de porter une attention particulière, dans une approche d’interprétation et d’analyse législative, au contexte interne de la loi dans lequel ce principe est adopté. Le Counter-Terrorism and Security Act de 2015 ne permet-il pas seulement en sa Partie 5 l’application du principe de ‘Due Regard’ et celui de ‘Prevent Duty’ qui en découle, mais permet également en sa Partie 2 une exclusion temporaire du Royaume-Uni et ce, sous un simple ordre du Secrétaire d’État. Les pouvoirs octroyés par la Partie 3 sont également préoccupants car ils permettent un pouvoir d’enquête accru en ce qui à trait aux communications internets. Il ne va sans dire que le droit au respect de la vie privée et à celui de la liberté d’expression se trouvent quelque peu opprimés. La saisie du passeport tel que prescrit à la Schedule 1 est également préoccupante, portant ainsi atteinte à la liberté de mouvement des individus.
Au final, il sera intéressant de constater comment les autorités judiciaires traiteront l’application de ces dispositions coercitives, d’autant plus que le rôle principal de ces autorités est de limiter l’arbitraire de l’État et ce, que la situation soit jugée d’urgence ou non au point de vue de la sécurité nationale.
Olivier Dulude
18 novembre 2016 à 15 h 30 minJe suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que tout ceci est préoccupant. Il me semble néanmoins que vous soulevez un point intéressant: les tribunaux peuvent toujours contrôler les actions du gouvernement. Toutefois, la CTSA, tout comme d’autres lois, prévoit des pouvoirs discrétionnaires plutôt larges (par exemple celui des ordres d’expulsion) qui ne permettent pas à une instance juridictionnelle d’exercer un contrôle très rigoureux, la norme de la raisonnabilité devant prévaloir dans ce genre de contrôle judiciaire.
Au surplus, l’absence d’une constitution écrite limite la possibilité d’attaquer la dévolution par la Parlement d’un pouvoir discrétionnaire de ce type. Il va certes de soi que la Convention européenne des droits de l’homme a son rôle à jouer, mais cette dernière risque fort de cesser de s’appliquer lorsque le Royaume-Uni se retirera de l’Union européenne.
J’en viens donc à la même conclusion que vous: tout ceci est préoccupant.