Bill C-51 : Oversight vs Review

par Tara Vasdani (University of Ottawa)

 

RÉSUMÉ

La subtile différence, quoique significative, entre la révision et le monitoring est trop souvent ignorée; elle nécessite en fait une attention particulière. Le présent texte traite du besoin d’avoir un organisme de surveillance responsable pour le suivi et la reddition de compte des différentes agences de sécurité à qui on a octroyé des pouvoirs cinétiques en vertu du projet de loi C-51. Il sera suggéré d’adopter un modèle hybride mettant en présence un Conseiller sur la sécurité nationale, dont le rôle serait semblable à celui de l’ancien Inspecteur général, ainsi qu’un Comité statutaire nouvellement établi, par opposition au Comité de parlementaires actuellement proposé par le premier ministre Justin Trudeau; cette approche favoriserait la prise de décisions collégiales, de même que la surveillance requise des activités. L’analyse inclut une étude détaillée des mécanismes de surveillance qui existent actuellement dans d’autres pays du Commonwealth, à savoir en Australie et en Grande Bretagne.

 

Fichier :  Bill C51 Oversight vs Review Vasdani (en anglais uniquement)

 

Citation : Tara Vasdani, « Bill C-51 : Oversight vs Review », Document de travail n°2, OSN, 2016.


Ce contenu a été mis à jour le 7 février 2017 à 13 h 01 min.

Commentaires

5 commentaires pour “Bill C-51 : Oversight vs Review”

Rym Laoufi

28 janvier 2016 à 15 h 35 min

Je voudrais remercier l’auteure pour cette contribution et prendre le temps de soulever quelques questions et pistes de réflexion complémentaires au texte.

Premièrement, le texte aborde le cœur du problème du projet de loi C-51. Celui-ci vise à élargir les pouvoirs du service canadien du renseignement sans instaurer, en parallèle, des garanties permettant un contrôle effectif de l’exercice de ceux-ci. La distinction que nous appelle à faire l’auteure entre ‘’review’’ et ‘’oversight’’ est très pertinente, car elle nous met face à l’existence de deux mécanismes qui répondent à des fins distinctes.

La perspective de droit comparé avec les mécanismes de surveillance adoptés dans d’autres pays est d’une grande utilité. Elle apporte un outil de réflexion supplémentaire sur les choix que le Canada devrait faire. Le texte se contente, par contre, d’exposer ces mécanismes. Pour permettre l’implantation de mesures réellement adéquates, il serait donc intéressant qu’une étude comparatiste future aborde aussi les forces et les faiblesses des mécanismes adoptés dans d’autres juridictions et ceci au niveau de leur effectivité réelle. Ces entités de surveillance et de supervision étant établies dans le but d’assurer un certain équilibre entre les libertés fondamentales et l’application des lois visant la sécurité nationale. Un équilibre dont la fragilité est exacerbée par l’élargissement des pouvoirs des services canadiens du renseignement que vise à permettre le projet de loi C-51.

Une autre piste de réflexion vers laquelle peut mener le texte est celle de voir de quelle manière un mécanisme d’ ‘’oversight’’ et un mécanisme de ‘’review’’ pourraient être combinés sans faire double jeu. Le texte aurait donc pu consacrer plus de place à cette réflexion et amoindrir quelque peu la place importante consacrée à l’énumération des critiques soulevées par divers acteurs quant au projet de loi C-51.

Au surplus, je trouve très intéressante la proposition d’établir un Statutory Committee au lieu d’un Parliamentary Committee, afin d’assurer une plus grande indépendance des membres. Toutefois, je serais curieuse de savoir, de quelle manière imaginiez-vous la composition de ce comité (seulement des experts indépendants ? ou Si c’est un comité hybride, qui aura le dernier mot entre parlementaires et experts ?) et si vous aviez songé aux types de mécanismes qui seraient mis en place pour assurer ladite indépendance des membres ?

En espérant que cet échange soit constructif, je vous remercie encore d’avoir partagé le fruit de vos réflexions avec nous.

Rym Laoufi

    Tara Vasdani

    6 février 2016 à 18 h 07 min

    Salut Mme Laoufi,

    D’abord, j’aimerais vous remercier tellement pour vos commentaires, ainsi que vos réflexions. Votre perspective est très importante en ce moment, surtout quand la législation reste au centre d’une politique fragmentée.

    Je suis d’accord qu’une analyse comparative des forces et faiblesses des systèmes australien et britannique auraient été fructueuse. Malheureusement, je n’avais pas assez de pages disponibles pour le faire! L’idée de passer plus de temps à vraiment réfléchir sur le mécanisme proposé pour effectuer du « review » et « oversight » et à démontrer comment cela fonctionnerait pour éviter un double emploi est aussi bonne – j’invite deux réflexions. Premièrement, à mon avis, le Comité sera établi exclusivement dans le but d’effectuer du « oversight ». SIRC, même sans ses propres ressources, possède en ce moment la capacité d’effectuer du « review ». Deuxièmement, pour moi, qui suis une politicomane, c’est devenu très intéressant de considérer les perspectives des différents critiques, surtout durant la période de l’élection fédérale.

    Pour répondre à votre dernière question, j’imagine que la composition du Comité statutaire comme étant un compromis des membres du HOC et du Sénat, comme c’est présentement effectué en Grande-Bretagne; suivant ceci, j’aimerais voir une sorte de fusion avec une personne indépendante, comme l’Inspecteur général, combiné avec les présidents de chaque Comité de sécurité déjà établi. La Comité sera surtout hybride et c’est difficile de dire qui aura le dernier mot.. dans un monde idéal, ce serait l’Inspecteur général.

    Je vous remercie encore tellement pour vos commentaires, ainsi que la lecture de mon texte.

    Cordialement,
    Tara Vasdani

Morgane Laloum

1 février 2016 à 9 h 39 min

Je voudrais commencer en soulignant l’excellent travail de Tara Vasdani. J’aimerais apporter au lecteur quelques idées qui suscitent la réflexion.

J’aimerais d’abord aborder le thème de la bureaucratie. Selon moi, le problème de C-51 n’est pas celui de l’amoindrissement des pouvoirs de son organe de surveillance. La réelle lacune est la constitutionnalité de la loi. Je m’explique, je considère, tout comme Max Weber, sociologue travaillant sur l’action politique, que la bureaucratie (ici engendrée par la mise en place d’un comité de contrôle) enferme la société dans une cage d’acier. Plus précisément, celle-ci piège les individus qui sont oppressés ou paralysés par un système bureaucratique.

Je crois que la solution idéale même utopique est la mise en place au Canada tout comme en France d’un conseil constitutionnel. De ce fait, des lois clairement inconstitutionnelles comme C-51 ne pourraient être mises de l’avant. Ceci éviterait, à mon avis, la peur que suscite l’accroissement des pouvoirs du Service canadien du renseignement et de la sécurité qui n’est point jumelé à une augmentation équivalente de ceux du comité de surveillance.

J’ai beaucoup apprécié la partie comparative de ce texte, je suis d’avis qu’il est nécessaire de se comparer avec d’autres États similaires au nôtre. Ceci permet entre autres de nous inspirer, d’émettre des critiques et d’évaluer notre système.
J’espère avoir apporté une vision différente du problème, je vous remercie de partager la vôtre avec nous.

Morgane Laloum

Daphné Godin-Garito

2 février 2016 à 19 h 42 min

Je voudrais d’abord souligner la grande qualité du texte soumis par Tara Vasdani.

J’aimerais maintenant soulever une problématique sur laquelle je me suis questionnée à la lecture de cette analyse.

La loi C-51 augmente de manière substantielle les pouvoirs dévolus aux institutions fédérales, comme le SCRS. Toutefois, aucun contrepoids, dans la forme d’un système de surveillance accru de ces institutions, n’est mis en place. Que les institutions de sécurité nationale puissent elles-mêmes baliser l’étendue de leur compétence est grandement inquiétant (Mémoire sur le projet de loi C-51, ABc, 2015).

Avec le contexte mondial actuel, le développement des mesures comme la loi C-51 est exponentiel, et ce, dans maints pays. Un grand défi en découle : adopter de telles mesures tout en assurant la protection des droits et libertés fondamentales des citoyens. À ce jour, malheureusement, et la loi C-51 en est un bon exemple, cette conciliation s’avère difficile, voire ignorée par certains parlements.

La distinction que l’auteure étudie entre « review » et « oversight » est très pertinente et soulève des interrogations majeures sur le fonctionnement de notre système. En effet, intervenir après le fait ( « review » ) et laisser des droits fondamentaux être violés est insuffisant, et ce malgré que le Canada, avec sa présomption de constitutionnalité des lois, a l’habitude d’agir ainsi (à cet effet, je suis d’accord avec ma collègue Morgane Laloum ; la création d’un comité constitutionnel permettrait d’agir en amont et de prévenir les violations). Il appert qu’une surveillance en temps réel ( « oversight ») serait un pas dans la bonne direction, mais serait-ce suffisant ?

À mon sens, c’est le changement de vocation du SCRS qui est le plus problématique. Avant de se questionner sur le mécanisme de surveillance approprié (questionnement nécessaire par ailleurs), je crois qu’il faut réviser l’élargissement des pouvoirs du SCRS. En lui permettant de prendre des « mesures » pour « réduire une menace envers la sécurité du Canada », et ce même à l’étranger, la loi modifie considérablement son mandat. Les agents du SCRS pourraient même violer les droits garantis par la Charte canadienne, sous réserve de l’obtention d’un mandat à huis clos. Cela remet en question l’intégrité de cet outil supralégislatif pour la première fois depuis son adoption et l’intégrité du rôle de rempart des tribunaux. Est-ce vraiment nécessaire pour assurer la sécurité sur le territoire canadien ? Avant de penser à surveiller le SCRS de manière convenable, ne faudrait-il pas mieux baliser l’étendue de ses pouvoirs ?

J’espère avoir vos commentaires sur le sujet.

Daphné Godin-Garito

Olivier Dulude

23 mars 2016 à 14 h 02 min

D’abord, j’aimerais remercier Mme Vasdani pour ses suggestions intéressantes quant à l’amélioration des mécanismes de surveillance des actions du SCRS.

Je me dois néanmoins d’abonder dans le même sens que Mme Godin-Garito. Il me semble que revoir le nouveau mandat accordé au SCRS est plus aisément réalisable que d’instaurer des mécanismes de surveillance réellement efficaces. À ce sujet, j’aimerais revenir sur l’analyse comparative faite par l’auteure quant au travail du Intelligence and Security Committee (ISC) au Royaume-Uni. S’il est vrai que son mandat (que l’auteure définit très bien) semble lui accorder un réel pouvoir de surveillance, je me permets de douter de l’indépendance et de l’impartialité de ce comité.

Ses membres sont certes élus par les parlementaires, mais dans les faits, c’est le premier ministre qui a le dernier mot sur les nominations, notamment parce qu’il dirige la formation détenant la majorité des sièges dans le cas de gouvernements majoritaire ou de coalition. Il serait étonnant qu’il nomme des membres susceptibles de critiquer les actions de sa propre administration. Les expériences du passé ont par ailleurs démontré que ses choix s’arrêtent généralement sur des élus issus de l’establishment du monde de la sécurité. Il va sans dire qu’il est illusoire de croire à leur propension à critiquer le milieu dans lequel ils ont fait carrière. Enfin, même si on présumait de l’indépendance et de l’impartialité des membres de l’ISC, certains observateurs s’accordent pour dire qu’il n’a de toute façon pas les moyens financiers d’accomplir son mandat.

Une autre problématique en ce qui concerne les organismes chargés de surveiller les agences de renseignement est l’absence d’intérêt de la part de l’opposition parlementaire de faire un réel suivi des dérives potentielles. Si c’est sous l’actuel gouvernement Conservateur de David Cameron que le plus gros de la surveillance de masse a été effectuée au R-U, c’est sous la gouverne du parti Travailliste que les programmes de surveillance de masses à la légalité douteuse ont été mis sur pied (voir les révélations d’Edward Snowden quant aux activités du GCHQ et la décision du Investigatory Powrs Tribunal: Liberty v. GCHQ, 2015). Ni le gouvernement, ni le principal parti d’opposition n’a donc intérêt à mettre à l’ordre du jour les dérives des agences de renseignement. Seul le Scottish National Party pourrait jouer un rôle intéressant, mais sa dimension régionale et sa priorité mise sur la promotion de l’indépendance semblent l’écarter du débat qui nous occupe.

Heureusement, au Canada, l’opposition semble plus encline à soulever cet enjeu. Les Néo-démocrates, les Verts et le Bloc n’ont en effet jamais été au pouvoir et ont décrié en tout ou en partie le projet de loi C-51. Il pourrait donc être intéressant, si nous voulions aller de l’avant avec la proposition de l’auteure d’établir un comité semblable à l’ISC, de s’assurer que l’opposition y joue un rôle prépondérant.

J’espère avoir pu contribué de manière constructive au débat au meilleur de mes connaissances et je remercie encore une fois l’auteure pour son excellent billet.

Olivier Dulude

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