Le fragile équilibre entre la sauvegarde de la sécurité nationale et le respect des droits fondamentaux d’un accusé : l’administration de la preuve secrète

par Mike Siméon (Université de Montréal)

 

La branche judiciaire d’un État démocratique possède un rôle central : protéger la Constitution. Cette fonction se démontre notamment à travers l’application de différents mécanismes de « check and balance » qui permettent de préserver l’équilibre entre les trois branches de l’État et s’assurer que ces dernières agissent à l’intérieur des paramètres de la loi.

Cette responsabilité qui incombe à la Cour est continue et ne se retrouve pas paralysée lorsqu’il est question d’enjeux de sécurité nationale. En effet, bien que certains auteurs soutiennent que le système judiciaire doit manifester une grande déférence face aux enjeux sécuritaires, le rôle de la Cour, lorsque de telles questions sont en jeux, demeure intact. Dans ces situations (celles impliquant des questions de sécurité nationale), la Cour se doit notamment de faire preuve d’un certain activisme afin d’assurer le respect des libertés individuelles[1]. Krebs résume succinctement ce rôle : « balance the security needs of the state with the individual rights of those threatening the state »[2].

La recherche de cet équilibre est notamment omniprésente lors de l’utilisation d’éléments de preuve classifiés. En effet, l’administration d’éléments de preuve classifiés créer de nombreuses problématiques, puisqu’elle remet en compte certains principes fondamentaux de notre système judiciaire, par exemple, le droit d’un accusé à une défense pleine et entière. En effet, comment un accusé peut-il contredire une preuve à laquelle il n’a pas accès?

Afin d’adresser la problématique susmentionnée, deux modèles de contrôle judiciaire virent le jour : le modèle de la gestion judiciaire[3] et le modèle de l’avocat spécial.

Krebs définit le premier modèle ainsi : « The [“judicial management” model] rests on ex-parte proceedings, in which the court plays a cardinal role in executing an independent, inquisitorial scrutiny of the secret evidence »[4]. En l’absence de l’accusé et de son représentant, le juge se retrouve ici à jouer à la fois le rôle de décideur et d’avocat de l’accusé.

Le deuxième modèle, soit celui de l’avocat spécial, propose d’attribuer à l’accusé un avocat autorisé par le gouvernement à consulter les éléments de preuve classifiés (à ce sujet, voir le document de travail de mon collègue Paul Lalonde[5]). Notons que c’est ce dernier modèle qu’a retenu le Canada.

Le premier modèle peut à première vue sembler adéquat, considérant que le juge, en principe impartial, jette un regard critique sur l’élément de preuve qui lui est présenté tout en prenant en compte l’intérêt de l’accusé. Cependant, ce modèle ne résiste pas à une analyse contemporaine face à l’un des principes élémentaires du processus judiciaire canadien : l’impartialité. Bien que l’impartialité peut être assurée par la présence du juge tout au long du processus, l’absence d’un représentant de l’accusé peut contribuer à miner la confiance du public envers notre système de justice, puisqu’il peut y avoir une certaine apparence de partialité. Ainsi, dans les cas impliquant l’administration d’éléments de preuve classifiés, la présence de l’avocat spécial semble inévitable.

 

[1] Shiri Krebs, « Lifting the Veil of Secrecy: Judicial Review of Administrative Detentions in the Israeli Supreme Court », (2012) 45 Vand. J. Transnat’l L. 639, 650.

[2] Shiri Krebs, « Lifting the Veil of Secrecy: Judicial Review of Administrative Detentions in the Israeli Supreme Court », (2012) 45 Vand. J. Transnat’l L. 639, 652.

[3] Traduction libre de « judicial management ». Voir Shiri Krebs, « Lifting the Veil of Secrecy: Judicial Review of Administrative Detentions in the Israeli Supreme Court », (2012) 45 Vand. J. Transnat’l L. 639, 653.

[4] Shiri Krebs, « Lifting the Veil of Secrecy: Judicial Review of Administrative Detentions in the Israeli Supreme Court », (2012) 45 Vand. J. Transnat’l L. 639, 653.

[5] L’effet restrictif de la Loi antiterroriste de 2015 sur les avocats spéciaux.

 

Citation : Mike Siméon, « Le fragile équilibre entre la sauvegarde de la sécurité nationale et le respect des droits fondamentaux d’un accusé : l’administration de la preuve secrète », Document de travail n°6, OSN, 2016.

Ce contenu a été mis à jour le 7 février 2017 à 12 h 59 min.

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